Les bains de Rennes paraissent avoir été fréquentés, dit le savant M. A. Du Mège, par la nalion celtique. Les médailles en font foi. On dit qu'il existait une ville dans les environs de Rennes. Redoe était la capitale du Comitatis Redensis. Rennes vient de Redoeni, diminutif de Redoe. Les
anciens litres de Montferrand au nord-est de Rennes, où l'on voit les ruines d'un château féodal, font mention de Roedum ou Raedoe, que les auteurs ont traduit par Razez. Voilà ce que la tradition écrite nous a transmis sur l'ancien pays de Rennes.
Avant de parler de mon voyage scientifique, pcrmellez-moi de rapporter les paroles d'un de nos plus célèbres écrivains , M. de Chateaubriand ; elles s'appliquent à mon récit : « Ceux qui parcourent un ouvrage en apparence de pure » imagination , ne se doutent pas du temps el de la peine
» qu'il a coûté à l'auteur. » Qu'ai-je vu d'abord à Rennes?
Des urnes cinéraires d'un mètre de hauteur; un morceau de marbre taillé, avec inscription mutilée, avec des caractères gravés par des mains habiles; des fragments de 1 à 2 métrés de long de moulures diverses en marbre blanc d'Italie; une main desséchée par la souffrance, qui soutient
une coupe où s'enroule un serpent au repos; un bras de femme en beau marbre statuaire, dans des proportions bien plus grandes que nature; et au milieu de ces ruines d'un temple romain , des médailles cellibériennos, sarrazines, consulaires et impériales. Tous ces objets, précieux pour
l'archéologie, je les ai vus rassemblés avec soin par M. de Fleury, propriétaire des bains de Rennes. Il les a mis avec une obligeance des plus aimables à ma disposition pour les étudier, et réunir les éléments de mon rapport.
Il suffirait de voir la collection des médailles trouvées depuis peu d'années dans ces lieux, pour être assuré que les Romains y avaient fondé un établissement thermal, avec leur luxe de construction accoutumé.
A Rennes, en 1709, dit un ancien curé, M. Delmas, le nombre des médailles trouvées étail si grand que les paysans les vendaient au poids du métal aux chaudronniers des environs de Soréze. M. Delmas en fit une collection, mais il n'en reste plus que les noms :
1 en or, de Caïus dictator perpetuus ; — 2 de Publius Claudius ; — 10 en argent, Raplus Sabinoe, Antoine, César, Auguste, Tibère , Néron , Vespasien ; — 19 en bronze, de tous les empereurs, depuis Auguste jusqu'à Dioclétien. Une des médailles exprimait un voeu à Esculape, pour la santé d'Auguste, malade à Narbonne.
En outre, M. Delmas fait mention de plusieurs médailles sarrazines.
Celles qui ont été trouvées depuis peu , sont :
1 en or, Nero, Coesar Augustus pontifex ; — 2 de Justinien avec une victoire ailée ; — 14 en argent ; — 1 Colonie de Marseille, grande figure de guerrier; -- 1 médaille gauloise, appelée monnaie à la roue; — 1 avec ligure gallo-romaine ; — 1 celtibériennc, grande têle à casque ; — 1 cel-
tibéricnne, avec quadrige; — 3 Jules César; — 2 Nerva; — 1 Vitellius ; — i Néro Garmanicus Augustus.
En bronze, 8, Auguste et Agrippa ; colonie de Nîmes, avec un crocodile enchaîné au pied d'un palmier, Auguste, Tibère, Vespasien, Domilien, Nerva, Trajan, Marc-Aurèle; •— 10 médailles cellibériennes avec une grosse lèle, et, au revers, un cheval ailé.
Raisonnons maintenant sur ces données positives. Les Romains ont habité ces lieux, où ils établirent des colonies. Rome , partout où elle dominait, prodiguait ses largesses, ses arls, son luxe, sa religion , avec ses temples ornés des plus beaux types de la statuaire antique.
Jusqu'au règne de l'empereur Commode (186), il semblait que Rome devait toujours s'enrichir des trésors de tous les peuples. Mais celte magnificence, cet or, ces temples, ces statues devinrent plus tard la proie des barbares. Les temples furent pillés et les dieux brisés. Le temple de Rennes, dont j'ai reconnu les traces, les pavés, les murailles et divers autels votifs, gisait encore sous une couche de terre végétale d'un mètre 50 cent. Le pavé du temple est formé de grandes dalles de 50 cent, d'épaisseur, 25 de largeur sur 35 de longueur. C'est en creusant des fondations et en déblayant le terrain , que l'on a trouvé le bras d'une femme, tenant à la main un oeuf qu'elle semble présenter aux assistants. C'était le symbole de la divinité de ces lieux consacrés à la fécondité, croyance qui s'est perpétuée jusques à nos jours et qui fait encore , chaque année , demander à Rennes l'accomplissement du voeu le plus cher à une femme. Les faits, dit on , y répondent bien souvent.
Esculape était encore le Dieu qu'on venait implorer à Rennes. Certainement, si des fouilles étaient faites dans ce lieu riche de trésors archéologiques , on trouverait le corps de celle statue. On verrait à quel pied appartient un gros orteil en marbre blanc , qui fut brisé par un ouvrier inhabile, on retrouverait la suite de celte inscription. A quels autels ces
moulures en marbre ont-ils servi d'ornement et de base? Je me suis promis de revoir un jour celte terre qui n'est pas encore envahie par les habitations : il ne sera bientôt plus temps.
Au fond d'une vallée très resserrée, au pied de montagnes arides il y a quarante ans, maintenant plantées et reverdies par l'industrie agricole, trois sources très abondantes sortent presque du même lieu à des degrés différents. Le bain fort, à 41 degrés , jaillit à quelques mètres au-dessus de la rivière de Sais. La source de cette rivière est à 10 kilomètres. Elle renferme une grande quantité de sel, d'où elle a tiré son nom (2 kilogrammes par hectolitre) ; elle vient ajouter une nouvelle vertu fortifiante à celle que l'eau naturelle contient déjà, par des muriates et des carbonates divers, combinés avec le gaz acide-carbonique.
Le second établissement est celui du bain doux qu'on a surnommé le bain des délices. On s'y trouve très-bien ; les membres , un peu raidis par la souffrance, reprennent leur élasticité, et la peau devient lisse comme si elle était satinée.
La troisième source est appelée les Bains de la Reine, et la tradition dit que la reine Blanche de Caslille, atteinte de la lèpre, après avoir couru tous les lieux indiqués par les nécromanciens de l'époque, trouva sa guérison complète aux bains de Rennes.
La lèpre fut apportée dans les Gaules après 711 par les Sarrazins ; il y a donc lieu de croire que le nombre des pièces de monnaie sarrazines trouvées à Rennes, indiquent que la vertu de ses eaux était alors reconnue.
Déjà les Romains avaient orné cet établissement thermal de belles mosaïques, qui ont été détruites ; quelques restes précieux marquent leur origine. On trouve encore un bassin en béton très dur qui a résisté aux éléments.
L'épaisseur du mur est de 0 métro 54; longueur intérieure, 5 mètres 40; largeur , 1 mètre 90; hauteur, 1 mètre 35.
Un bourrelet intérieur, faisant corps avec le mur, ajoutait à la solidité de la construction. Un conduit y amenait l'eau par la partie supérieure. Des pans de murailles anciennes avec les assises de pierres extérieures, de même hauteur, montrent que les constructions étaient faites avec soin.
Il existe encore à deux kilomètres de Rennes, une source d'eau froide ferrugineuse , très limpide cl d'une saveur astringente : elle se trouble après un court séjour dans les vases el dépose une couche ocreuse après l'évaporation du gaz acide-carbonique qu'elle renferme. Celle eau salutaire
sortait de dessous des rochers, à 30 mètres d'élévation audessus de la rivière; elle coule maintenant au milieu d'un massif d'aulnes et de platanes. Cette fontaine est la promenade favorite des baigneurs; elle est formée par diverses pierres antiques taillées grossièrement; des cannelures et des feuilles d'acanthe gravées sur ces blocs d'un grés très commun indiquent, par leurs fortes dimensions, qu'elles appartenaient à quelque temple.
Avec toutes ses sources minérales et ses rivières salées, Rennes n'aurait pas été habitable sans le secours d'une fontaine très abondante, d'une eau délicieuse, qui coule à dix mètres au-dessus de la rivière cl se répand dans le village.
Après avoir parlé des Romains qui ont habité Rennes, je crois devoir dire quelques mois sur l'occupation romaine, le lieu de débarquement et l'établissement d'une colonie dans la contrée, d'après l'étymologie latine des noms.
Le fait historique est que, 118 ans avant Jésus-Christ, on envoya une colonie romaine à Narbonne. Elle débarqua à la Vieille nouvelle , dérivée de Novalis, terre vierge, à Narbonne , de Naris, qui veut dire extrémité des canaux , et bona, bonne.
Le roc Saint-Pierre, à une lieue en mer, à l'embouchure de l'Aude , la redoute du même nom, sur le rivage, disent que les limites de la colonie narbonnaise étaient là.
L'étang de La Palme a la figure du creux de la main avec les cinq doigts. Son nom palma est latin. L'isle Sainle-Leucie est couverte d'une herbe Leucé, semblable à la Mercuriale.
Enfin le fort do la Nouvelle qui fui plus lard un lieu de débarquement plus favorable, et le lac de Sigean avec sa redoute, que des caries nomment de Saint-Jean , désignent le point central des troupes réunies pour installer la colonie.
Les conquérants se dirigèrent vers les hauteurs des Corbières , traversèrent ces plaines arides pour atteindre, Saint-Paul, ville principale du pays des Fenouillèdes, sur les confins du Roussillon , feni culelum , ancien nom), pays où abondaient les foins et les vins.
Ils vinrent après s'établira Montferrand, position qui commandait la vallée de la Sais : une ancienne voie romaine en descend; ce nom de Montferrand était jadis celui de Rennes ; un château féodal y fut bâti plus tard.
Les Romains, selon leur habitude, campèrent à des distances telles qu'ils pouvaient se porter secours mutuellement. Saint-Ferriol, Saint-Just, Saint-Julia , Saint-Celsc, Saint-Nazaire , nous disent comment les habitants de cette contrée supportaient le joug de la conquête et de la servitude.
Laissons ces faits probables pour nous arrêter sur la physionomie des environs de Rennes.
Au centre de la contrée s'élève, majestueusement, un pic de montagne, un cône isolé, surpassant toutes les montagnes par sa cime presque toujours couverte de neige; c'est le pic de Bugarach. Près de là sont les Causses, masses calcaires, qui forment le point culminant de la contrée. Les eaux qui tombent sur celte grande surface, en s'écoulant vers l'orient, forment la Gly, rivière qui se dirige vers Rives-Altes, (de rivus, cours d'eau, allus, élevé), et se jette dans la Méditerranée au-dessous de Perpignan (Perpi-
niacum). L'autre partie des eaux s'écoule vers le couchant, tombe dans la rivière de Sais, et va joindre l'Aude à Couiza, Limoux, Carcassonne.
A mon avis, le pic de Bugarach était le cratère d'où s'élevait un volcan de cendres calcaires, comme jadis sortit du Vésuve cette colonne épaisse dont parle Pline, et qui engloutit Ilerculanum et Pompeïa. Ces matières, eu cendres calcinées cl brûlantes, se délayaient en tombant dans les
rivières, s'amoncelaient et se refroidissaient, et formaient les plateaux arides des Corbières.
Si les eaux étaient rclcnues pendant quelque temps, elles rompaient leurs digues , coulaient avec plus de rapidité, entraînant avec elles des blocs énormes de pierres et de roches agglutinées qu'on trouve dans le lit de la rivière salée. Celle rivière salée , d'où vient-elle? Est-ce quelque filon d'eau de la mer, qui, au moment de l'érosion , a formé un banc de sel gemme et sur lequel coule incessamment quelque source souterraine descendant des sommets glacés des Pyrénées?
D'où viennent ces coquillages trouvés avec des oursins pétrifiés, qu'on rencontre dans les montagnes? Quelle est cette montagne des Cornes, au sommet de laquelle on trouve des stalactites provenant de la coulée de la matière calcaire en fusion, qui prenait une figure aiguë à mesure qu'elle acquérait de la consistance, par l'évaporation de l'eau? Comment se sont formées ces couches alternatives de terre et de roches, qui composent les montagnes autour de Rennes? Je hasarde la solution de ces questions : par le volcan du Bugarach.
A mesure que la transformation terrestre s'opérait, les terres de toute nature étaient entraînées par les eaux, et sur ces terres desséchées coulait comme une lave la roche silico-calcaire, qui prenait de la solidité au contact de l'air. Bientôt s'amoncelait une nouvelle couche recouverte à son tour par la roche, qui se durcissait comme un ciment naturel, composé d'éléments argilo-calcaires.
Les couches des roches sont parallèles , mais redressées sur les flancs des montagnes, comme preuve des derniers efforts volcaniques, qui ont laissé après eux ces soupiraux par lesquels s'élancent depuis tant de siècles les sources brûlai les de Rennes.
Dans celle vallée où le travail des champs n'est pas considérable, où la porlion des terres arables est très exiguë, y a-t-il quelque industrie ? On y taille ces pierres si précieuses pour l'agriculture, qui servent à aiguiser les faux et les faucilles : cette industrie occupe 40 ouvriers, qui font une vingtaine de ces pierres dans la journée; elles se vendent 75 centimes à 1 franc la douzaine, prises sur les lieux. Souvent les Espagnols viennent en acheter; c'est un article de contrebande qui se vend 1 franc pièce au-delà des Pyrénées. Malheureusement la matière première commence à man-
quer ; ce grès très fin se montrait jadis à la surface de la terre, déposé entre deux couches de roches dures, comme on rencontre un filon métallique dans sa gangue. Ce grès, conservant son humidité naturelle , était facile à fendre, à travailler, à façonner , à polir, avant qu'il ne fût durci par le contact de l'air.
Maintenant ce filon a pris une direction telle, qu'il faut de grands frais pour extraire ce qui ne coûtait presque rien à l'ouvrier, et l'on ne sait à quelle profondeur ira se perdre celte couche précieuse.
Dans une autre direction , vers le pic de Bugarach , on exploite de grandes meules à aiguiser. Il y a aussi une petite scierie circulaire où l'on débite les Racines de buis en tablettes , pour en faire des boîtes, qu'on perfectionne à Saint-Claude (Jura).
Je finis en vous offrant le dessin fait par M. Albrespy, des urnes cinéraires dont j'ai pris les dimensions. Ces vases se fichaient debout dans la terre, lorsqu'on les remplissait des cendres et des ossements des défunts, et puis ils étaient couchés horizontalement dans les cimetières ;
Une moulure en marbre blanc d'Italie ; c'était un ornement de piédestaux d'autels, etc.; il en existe plusieurs fragments de 1 à 2 mètres de long;
le dessin d'une inscription sur marbre blanc ; le dessin d'un bras d'une statue, en marbre d'italie; un morceau de béton, sorti de vive force du bord supérieur du réservoir. J'ai remarqué que, dans la composition
du béton, il entrait une quantité notable de briques d'un grain extrêmement fin. Je fus assez heureux pour extraire une de ces briques. Elle recouvrait un tuyau de poterie qui amenait l'eau dans le bord supérieur du réservoir ;
Le revêtemcnt intérieur du bassin , composé d'une couche très mince de ciment et de brique en poudre 1res fine,ce qui lui donnait une teinte rougeâtre : peut-être même existe-t-il sous les décombres quelques traces de mosaïques.
J'ai vu , à Rennes, des briques creuses qui servaient de recouvrement aux briques plates qui formaient la toiture des maisons romaines. Les briques creuses, portaient les figurines qui décoraient les monuments.